Il regarde sa montre
nerveusement, pour la dixième fois en cinq minutes. Autour de lui,
le brouhaha des clients de cette brasserie couvre presque la musique
celtique censée donner l’ambiance du lieu. Il cherche encore un
miroir pour se regarder une dernière fois avant qu’elle n’arrive.
Que va-t-elle penser de lui ? Il se dit qu’il a encore le temps
de fuir. Il prétextera avoir manqué son train, s’être perdu dans
le métro… Mais bon sang, pourquoi est-elle en retard ?! Et si
c’était elle qui s’était dérobée ?
Ils étaient « amis » depuis six mois sur Facebook. De
parfaits inconnus, en fait… Elle avait commenté un texte qu’il
avait posté sur le mur d’un groupe d’auteurs. Un commentaire
assez acerbe, d’ailleurs, qui avait piqué son amour propre
d’écrivain. Il lui avait répondu en termes courtois et invitée à
rejoindre son groupe d’amis pour découvrir ses autres productions.
Elle avait apprécié son style brut et direct et ils avaient fini
par s’apprivoiser. Jusqu’à se donner rendez-vous en marge du
salon du livre…
Elle ferme son parapluie et ouvre la porte vitrée de la brasserie en poussant un long soupir. Quel temps de crotte ! L’humidité ambiante risque de réduire à néant tous ses efforts pour lisser ses cheveux. Elle s’était voulue différente pour cette rencontre. Un peu comme si ce n’était pas vraiment elle qui se rendait à ce rendez-vous, mentant à son mari sur le programme de sa soirée. Elle scrute la salle, peuplée de visages inconnus. Va-t-elle le reconnaître ? Elle avait bien vu sa tête sur Facebook, mais il avait remplacé sa photo de profil par un carré noir depuis trois mois. C’était pourtant à elle de le retrouver, car lui n’avait jamais vu à quoi elle ressemblait. Pour simplifier ses recherches, elle se concentre sur les hommes seuls. Il ne doit pas y en avoir beaucoup ce samedi soir. Qui viendrait seul dans ce bar bondé où la bière coule à flots, où les verres s’entrechoquent joyeusement dans les rires et les chansons ? Qui, à part les dragueurs et les pervers en chasse ? Cette idée lui glace le sang. Et si elle se trompe sans s’en rendre compte ? Si l’homme profite de sa méprise et la baratine ? Elle redouble d’attention en détaillant chaque visage. Là ! Au fond, à gauche ! Ça doit être lui. Elle prend une profonde inspiration et se lance.
Il tourne la tête vers l’entrée pour la cinquantième fois. Une femme s’avance vers lui. Il croise son regard. Elle lui sourit. Serait-ce donc elle ? Il l’a si souvent imaginée. Ses remarques toujours percutantes, presque martiales, lui supposaient une silhouette androgyne, des cheveux courts et des traits durs. Il n’en est rien ! Ou peut-être un peu… Mais elle est charmante ! Il ne peut détacher son regard de son corps qui s’avance avec grâce à sa rencontre. Elle non plus ne le quitte pas des yeux. C’est bien lui, mais il a menti ! Ou alors, il est vraiment modeste… Il est bien plus mignon qu’il ne le laisse croire à travers ses posts ! Elle lui sourit de plus en plus franchement.
Alors qu’elle arrive à sa table, il se lève d’un bond.
— Excusez-moi, je manque à tous mes devoirs… dit-il en quittant la banquette pour lui offrir sa place face à la salle.
— Bonsoir ! lance-t-elle amusée.
— Euh, oui, bonsoir. Pardon ! s’excuse-t-il encore.
Elle hésite à avancer la joue pour qu’ils s’embrassent et se saisit de la main qu’il lui tend. Ils se saluent timidement, mais elle sent toute sa puissance dans ce geste pourtant tout en douceur. Elle enlève son manteau et le jette négligemment sur le cuir. Elle se glisse derrière la table en enjambant son sac laissé à terre. Il tire la chaise face à elle et s’assoit lourdement.
— Votre journée s’est bien passée ? s’enquiert-elle poliment.
— Oui. C’était amusant… j’ai pris quelques contacts intéressants.
— Des éditeurs ? Des vrais ?
— Oui, on peut dire ça… Je ne sais pas vraiment ce qu’est un vrai éditeur, pour être honnête.
— Moi non plus, d’ailleurs, s’amuse-t-elle.
— Et vous ? Vous avez rencontré quelques auteurs ? Vous avez fait le plein de livres pour les mois à venir.
— Non. J’étais là comme vous, pour faire de belles rencontres…
— Et ?
— Eh bien, je crois que j’ai bien fait de sortir du salon… dit-elle en plongeant ses yeux dans ceux de son interlocuteur.
Il se sent embarrassé. Serait-ce un compliment ? Il soutient son regard, mais se sent rougir.
— Vous prenez quelque chose ? lui demande-t-il pour briser cet instant équivoque.
— Oui, un café !
— Oh… à cette heure ? Vous n’êtes pas de celles que la caféine empêche de dormir ?
— Si, justement !
Elle ne détourne toujours pas son regard. Lui baisse les yeux. Sa voix sensuelle, son regard transperçant, son visage rieur, tout en elle l’enchante. Il se demande ce qu’elle veut vraiment. Si elle le taquine juste ou si elle le drague ouvertement. Leurs joutes épistolaires n’étaient pas moins lourdes de sous-entendus, mais là, dans le monde réel, les masques sont plus durs à porter. Il cherche désespérément un serveur qui viendrait s’interposer entre eux et parvient à en héler un qui dépose quelques bières à trois tables de la leur. Le garçon lui fait poliment un signe de la tête, mais retourne d’un pas rapide vers le comptoir. Il va donc devoir poursuivre le dialogue avec son invitée. Croisant les doigts et posant ses coudes sur la table, Il lui sourit un peu nerveusement.
— Je ne me souviens plus, ment-il, qui a proposé que l’on se rencontre…
— C’est vous ! Ou moi ? feint-elle également de ne plus se souvenir. Une chose est sûre, nous en avions plus ou moins envie tous les deux…
— Moi, je voulais savoir si le plumage se rapportait au ramage.
— Alors ?
— Vous êtes, sans conteste, le phénix des hôtes de ce bar !
— Flatteur !
C’est à son tour de rougir. Elle veut croire que ces paroles sont autre chose qu’un compliment de circonstance et qu’il la trouve à son goût. Mais le serveur qui se poste à côté de leur table vient interrompre ses pensées.
— Un café pour madame, et une Despé pour moi, s’il vous plaît.
Le garçon disparaît aussi vite qu’il est apparu. Replongeant ses yeux dans ceux de son compagnon de table, Elle hésite. Poursuivre cette joute verbale enfiévrée ou revenir à des sujets plus banals ?
— Et sinon, qu’est-ce que vous aimez dans mes livres ? s’inquiète-t-il.
— Votre style ! Ou, devrais-je dire, votre absence de style…
— Pan ! Ne jamais poser une question quand on n’est pas prêt à entendre la réponse, se vexe-t-il.
— Non, non… C’est un compliment, je vous jure ! Vous ne faites pas de « littérature » ! Vous appelez un chat un chat, une chatte une chatte et une belle queue une bite ! Ça change ! Ça donne un côté bestial à vos récits, un truc brut, cru ! Et puis, souvent, la chute est… surprenante ! C’est presque encore plus jouissif que vos scènes coquines.
— Merci ! Ça, c’est de la critique ! Vous devriez m’en poster une ou deux comme ça sur Amazon, j’en ai bien besoin.
— J’y ai pensé… Mais je lis tellement que je passe vite à autre chose. Et après, j’oublie…
— Ce n’est pas très grave… Une question me turlupine : vous prenez du plaisir en me lisant ?
Elle s’arrête avant de lui répondre. Qu’entend-il par « prenez du plaisir » ? Il devine son doute.
— Oui, je sais, cette question est très intime. Mais je crois que je n’écris que pour ça : pour que mes lecteurs, et surtout mes lectrices, prennent leur pied. En fait, je voudrais savoir si je suis un banal auteur de romances à l’eau de rose ou un vrai auteur érotique.
Le serveur qui dépose leurs boissons lui lance un regard surpris. Le pauvre garçon n’est pas sûr de bien avoir entendu. Le silence qui suit dissipe ses doutes, et une moue réprobatrice se dessine sur son visage alors qu’il décapsule la bière. Il tend la note. C’est lui qui se précipite pour régler la somme attendue. Le serveur empoche la monnaie et repart prestement.
— On aurait pu partager. Je suis une femme indépendante. Mariée, mais indépendante !
Il sourit. C’est exactement ce qui l’avait poussé à la rencontrer. Cette capacité à s’emporter pour un rien. Ce féminisme exacerbé et finalement un peu désuet à ses yeux.
— Ce n’était qu’une expression de ma galanterie naturelle, se justifie-t-il en riant.
— La galanterie est sans doute l’ultime stade de la domination masculine, s’insurge-t-elle. Une femme ne serait-elle pas capable d’ouvrir une porte ?
— Oh si ! Elles le font très bien, d’ailleurs ! C’est la fermer sans la claquer qui leur pose plus de problèmes ! renchérit-il.
Elle pince les lèvres en se rendant compte qu’il s’amuse de son courroux. Elle le foudroie du regard. Mais le sourire éclatant qui fend son visage le rend charmant. Cet homme n’est pas particulièrement beau, mais il dégage une forme de sincérité qui la fait fondre. Et ses yeux rieurs sèment le trouble dans son esprit. Comment un homme si léger peut écrire de manière si grivoise ? Comment ? Sinon à connaître les plaisirs sur le bout des doigts… Alors qu’il se saisit de sa bière et y trempe ses lèvres, elle se perd dans ses yeux.
Des images interdites lui traversent la tête. Lui, son corps pressant, ses mains entreprenantes sur son corps à elle. Elle frémit sur la banquette, mais elle est loin d’ici. Pour le plaisir de poursuivre leur discussion, elle l’accompagne à son hôtel, sans arrière-pensée. Mais plus ils avancent dans les rues dépeuplées, plus leurs corps se rapprochent. Leurs mains se frôlent. Elle baisse les yeux, mais provoque un nouveau contact. Leurs doigts s’entrelacent, timidement, puis plus fermement. À quelques mètres d’eux, une porte cochère s’ouvre et laisse débouler un jeune homme qui s’empresse dans la direction opposée. Il se précipite en l’entraînant et bloque la lourde porte avant qu’elle ne se referme. La tirant par la main, il la précède sous le porche sombre et désert. Il s’arrête et se retourne. Son élan la précipite dans ses bras. Elle lève lentement la tête vers lui. Leurs bouches se collent. Leurs mains se quittent, pour mieux partir à la découverte du corps de l’autre. Elle écarte sa veste et passe ses doigts sous sa chemise. Sa main crisse sur sa cuisse gainée de nylon, remonte la robe, franchit la lisière de son bas. Le contact de ses ongles sur sa peau l’électrise. Elle se crispe contre son torse. Il la plaque contre la pierre froide. De sa main libre, elle défait son pantalon et vient masser son érection naissante à travers le tissu de son sous-vêtement. Il lui pelote les fesses sans ménagement et elle aime ça… Elle remonte une jambe et la noue à sa taille. Son autre main se perd dans ses habits, à la recherche de ses seins. Il en atteint enfin un et l’excite entre ses doigts. Elle libère sa verge pendant qu’il écarte sa culotte. Ils rompent leur baiser et se fixent en silence. Au beau milieu de la ville, ils sont seuls au monde. Ils oublient leurs vies et s’étreignent avec ardeur.
Elle ferme son parapluie et ouvre la porte vitrée de la brasserie en poussant un long soupir. Quel temps de crotte ! L’humidité ambiante risque de réduire à néant tous ses efforts pour lisser ses cheveux. Elle s’était voulue différente pour cette rencontre. Un peu comme si ce n’était pas vraiment elle qui se rendait à ce rendez-vous, mentant à son mari sur le programme de sa soirée. Elle scrute la salle, peuplée de visages inconnus. Va-t-elle le reconnaître ? Elle avait bien vu sa tête sur Facebook, mais il avait remplacé sa photo de profil par un carré noir depuis trois mois. C’était pourtant à elle de le retrouver, car lui n’avait jamais vu à quoi elle ressemblait. Pour simplifier ses recherches, elle se concentre sur les hommes seuls. Il ne doit pas y en avoir beaucoup ce samedi soir. Qui viendrait seul dans ce bar bondé où la bière coule à flots, où les verres s’entrechoquent joyeusement dans les rires et les chansons ? Qui, à part les dragueurs et les pervers en chasse ? Cette idée lui glace le sang. Et si elle se trompe sans s’en rendre compte ? Si l’homme profite de sa méprise et la baratine ? Elle redouble d’attention en détaillant chaque visage. Là ! Au fond, à gauche ! Ça doit être lui. Elle prend une profonde inspiration et se lance.
Il tourne la tête vers l’entrée pour la cinquantième fois. Une femme s’avance vers lui. Il croise son regard. Elle lui sourit. Serait-ce donc elle ? Il l’a si souvent imaginée. Ses remarques toujours percutantes, presque martiales, lui supposaient une silhouette androgyne, des cheveux courts et des traits durs. Il n’en est rien ! Ou peut-être un peu… Mais elle est charmante ! Il ne peut détacher son regard de son corps qui s’avance avec grâce à sa rencontre. Elle non plus ne le quitte pas des yeux. C’est bien lui, mais il a menti ! Ou alors, il est vraiment modeste… Il est bien plus mignon qu’il ne le laisse croire à travers ses posts ! Elle lui sourit de plus en plus franchement.
Alors qu’elle arrive à sa table, il se lève d’un bond.
— Excusez-moi, je manque à tous mes devoirs… dit-il en quittant la banquette pour lui offrir sa place face à la salle.
— Bonsoir ! lance-t-elle amusée.
— Euh, oui, bonsoir. Pardon ! s’excuse-t-il encore.
Elle hésite à avancer la joue pour qu’ils s’embrassent et se saisit de la main qu’il lui tend. Ils se saluent timidement, mais elle sent toute sa puissance dans ce geste pourtant tout en douceur. Elle enlève son manteau et le jette négligemment sur le cuir. Elle se glisse derrière la table en enjambant son sac laissé à terre. Il tire la chaise face à elle et s’assoit lourdement.
— Votre journée s’est bien passée ? s’enquiert-elle poliment.
— Oui. C’était amusant… j’ai pris quelques contacts intéressants.
— Des éditeurs ? Des vrais ?
— Oui, on peut dire ça… Je ne sais pas vraiment ce qu’est un vrai éditeur, pour être honnête.
— Moi non plus, d’ailleurs, s’amuse-t-elle.
— Et vous ? Vous avez rencontré quelques auteurs ? Vous avez fait le plein de livres pour les mois à venir.
— Non. J’étais là comme vous, pour faire de belles rencontres…
— Et ?
— Eh bien, je crois que j’ai bien fait de sortir du salon… dit-elle en plongeant ses yeux dans ceux de son interlocuteur.
Il se sent embarrassé. Serait-ce un compliment ? Il soutient son regard, mais se sent rougir.
— Vous prenez quelque chose ? lui demande-t-il pour briser cet instant équivoque.
— Oui, un café !
— Oh… à cette heure ? Vous n’êtes pas de celles que la caféine empêche de dormir ?
— Si, justement !
Elle ne détourne toujours pas son regard. Lui baisse les yeux. Sa voix sensuelle, son regard transperçant, son visage rieur, tout en elle l’enchante. Il se demande ce qu’elle veut vraiment. Si elle le taquine juste ou si elle le drague ouvertement. Leurs joutes épistolaires n’étaient pas moins lourdes de sous-entendus, mais là, dans le monde réel, les masques sont plus durs à porter. Il cherche désespérément un serveur qui viendrait s’interposer entre eux et parvient à en héler un qui dépose quelques bières à trois tables de la leur. Le garçon lui fait poliment un signe de la tête, mais retourne d’un pas rapide vers le comptoir. Il va donc devoir poursuivre le dialogue avec son invitée. Croisant les doigts et posant ses coudes sur la table, Il lui sourit un peu nerveusement.
— Je ne me souviens plus, ment-il, qui a proposé que l’on se rencontre…
— C’est vous ! Ou moi ? feint-elle également de ne plus se souvenir. Une chose est sûre, nous en avions plus ou moins envie tous les deux…
— Moi, je voulais savoir si le plumage se rapportait au ramage.
— Alors ?
— Vous êtes, sans conteste, le phénix des hôtes de ce bar !
— Flatteur !
C’est à son tour de rougir. Elle veut croire que ces paroles sont autre chose qu’un compliment de circonstance et qu’il la trouve à son goût. Mais le serveur qui se poste à côté de leur table vient interrompre ses pensées.
— Un café pour madame, et une Despé pour moi, s’il vous plaît.
Le garçon disparaît aussi vite qu’il est apparu. Replongeant ses yeux dans ceux de son compagnon de table, Elle hésite. Poursuivre cette joute verbale enfiévrée ou revenir à des sujets plus banals ?
— Et sinon, qu’est-ce que vous aimez dans mes livres ? s’inquiète-t-il.
— Votre style ! Ou, devrais-je dire, votre absence de style…
— Pan ! Ne jamais poser une question quand on n’est pas prêt à entendre la réponse, se vexe-t-il.
— Non, non… C’est un compliment, je vous jure ! Vous ne faites pas de « littérature » ! Vous appelez un chat un chat, une chatte une chatte et une belle queue une bite ! Ça change ! Ça donne un côté bestial à vos récits, un truc brut, cru ! Et puis, souvent, la chute est… surprenante ! C’est presque encore plus jouissif que vos scènes coquines.
— Merci ! Ça, c’est de la critique ! Vous devriez m’en poster une ou deux comme ça sur Amazon, j’en ai bien besoin.
— J’y ai pensé… Mais je lis tellement que je passe vite à autre chose. Et après, j’oublie…
— Ce n’est pas très grave… Une question me turlupine : vous prenez du plaisir en me lisant ?
Elle s’arrête avant de lui répondre. Qu’entend-il par « prenez du plaisir » ? Il devine son doute.
— Oui, je sais, cette question est très intime. Mais je crois que je n’écris que pour ça : pour que mes lecteurs, et surtout mes lectrices, prennent leur pied. En fait, je voudrais savoir si je suis un banal auteur de romances à l’eau de rose ou un vrai auteur érotique.
Le serveur qui dépose leurs boissons lui lance un regard surpris. Le pauvre garçon n’est pas sûr de bien avoir entendu. Le silence qui suit dissipe ses doutes, et une moue réprobatrice se dessine sur son visage alors qu’il décapsule la bière. Il tend la note. C’est lui qui se précipite pour régler la somme attendue. Le serveur empoche la monnaie et repart prestement.
— On aurait pu partager. Je suis une femme indépendante. Mariée, mais indépendante !
Il sourit. C’est exactement ce qui l’avait poussé à la rencontrer. Cette capacité à s’emporter pour un rien. Ce féminisme exacerbé et finalement un peu désuet à ses yeux.
— Ce n’était qu’une expression de ma galanterie naturelle, se justifie-t-il en riant.
— La galanterie est sans doute l’ultime stade de la domination masculine, s’insurge-t-elle. Une femme ne serait-elle pas capable d’ouvrir une porte ?
— Oh si ! Elles le font très bien, d’ailleurs ! C’est la fermer sans la claquer qui leur pose plus de problèmes ! renchérit-il.
Elle pince les lèvres en se rendant compte qu’il s’amuse de son courroux. Elle le foudroie du regard. Mais le sourire éclatant qui fend son visage le rend charmant. Cet homme n’est pas particulièrement beau, mais il dégage une forme de sincérité qui la fait fondre. Et ses yeux rieurs sèment le trouble dans son esprit. Comment un homme si léger peut écrire de manière si grivoise ? Comment ? Sinon à connaître les plaisirs sur le bout des doigts… Alors qu’il se saisit de sa bière et y trempe ses lèvres, elle se perd dans ses yeux.
Des images interdites lui traversent la tête. Lui, son corps pressant, ses mains entreprenantes sur son corps à elle. Elle frémit sur la banquette, mais elle est loin d’ici. Pour le plaisir de poursuivre leur discussion, elle l’accompagne à son hôtel, sans arrière-pensée. Mais plus ils avancent dans les rues dépeuplées, plus leurs corps se rapprochent. Leurs mains se frôlent. Elle baisse les yeux, mais provoque un nouveau contact. Leurs doigts s’entrelacent, timidement, puis plus fermement. À quelques mètres d’eux, une porte cochère s’ouvre et laisse débouler un jeune homme qui s’empresse dans la direction opposée. Il se précipite en l’entraînant et bloque la lourde porte avant qu’elle ne se referme. La tirant par la main, il la précède sous le porche sombre et désert. Il s’arrête et se retourne. Son élan la précipite dans ses bras. Elle lève lentement la tête vers lui. Leurs bouches se collent. Leurs mains se quittent, pour mieux partir à la découverte du corps de l’autre. Elle écarte sa veste et passe ses doigts sous sa chemise. Sa main crisse sur sa cuisse gainée de nylon, remonte la robe, franchit la lisière de son bas. Le contact de ses ongles sur sa peau l’électrise. Elle se crispe contre son torse. Il la plaque contre la pierre froide. De sa main libre, elle défait son pantalon et vient masser son érection naissante à travers le tissu de son sous-vêtement. Il lui pelote les fesses sans ménagement et elle aime ça… Elle remonte une jambe et la noue à sa taille. Son autre main se perd dans ses habits, à la recherche de ses seins. Il en atteint enfin un et l’excite entre ses doigts. Elle libère sa verge pendant qu’il écarte sa culotte. Ils rompent leur baiser et se fixent en silence. Au beau milieu de la ville, ils sont seuls au monde. Ils oublient leurs vies et s’étreignent avec ardeur.